Inde : Retour sur une élection capitale

Inde : Retour sur une élection capitale

Les élections européennes ne nous ont pas permis de traiter, la semaine dernière, le résultat des élections indiennes. Si pour le monde arabo-musulman, l’Europe est importante, notamment au niveau du rapport des Etats à l’immigration, celles en Inde le sont peut-être encore plus.

En effet, le dépouillement qui a duré plusieurs semaines dans la plus grande démocratie élective du monde a débouché sur un  résultat indiscutable, mais inquiétant pour les minorités de ce «pays monde» aussi peuplé que la Chine. Les premiers concernés sont les musulmans. Il faut se souvenir qu’à la fin du «Raj», empire des Indes britanniques, une partition meurtrière avait donné naissance à un Etat musulman, le Pakistan qui alors comprenait le Bengladesh. Mais de très nombreux musulmans sont restés en Inde même. Depuis, sans compter le conflit du Cachemire, cette communauté est régulièrement victime de persécutions de la part des hindouistes extrémistes et soupçonnés de terrorisme. Le dernier vote confirme que l’Inde a choisi, contre le parti plus laïc de l’indépendance, une voie radicale et religieuse.

Les 900 millions d’électeurs indiens ont parlé. Le grand vainqueur est le nationalisme hindou. Son porte-drapeau, Narendra Modi, se voit ainsi confier un deuxième mandat de Premier ministre. Une fois élu, l’autocratique Modi s’est montré fidèle au projet du RSS. Réécrivant les manuels scolaires ou rebaptisant des villes aux consonances musulmanes, il a tenté d’ériger la culture hindoue en politique d’Etat, portant un coup à une identité multiconfessionnelle héritée de l’indépendance. En cinq ans, sous sa gouvernance, l’Inde a changé. Pour caresser son électorat hindou dans le sens du poil, Narendra Modi est allé jusqu’à effectuer des frappes contre des objectifs militaires au Pakistan. Si le Premier ministre porte le manteau d’un modéré, son pouvoir repose totalement sur le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), ce mouvement qui prône l’idéologie du «Hindustan», l’Inde aux Hindous. Le pays compte 1,3 milliard d’habitants, dont 80% sont des adeptes de Shiva, Krishna et autres divinités. Lui, il promet l’avènement d’une «Nouvelle Inde» et se targue d’être le «chowkidar» (le gardien) des intérêts de la nation.

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Le RSS est cette organisation dont un membre -Nathuram Godse- avait assassiné le Mahatma Gandhi coupable, selon lui, d’avoir accepté l’amputation de la mère patrie en 1948, pour créer le Pakistan. Les fanatiques hindous, toujours eux, avaient détruit la mosquée d’Ayodhya en 1992. Les émeutes avaient alors fait 2.000 morts, surtout des musulmans. Depuis l’accession au pouvoir de Narendra Modi il y a cinq ans, cette minorité se sent menacée et traitée comme des citoyens de seconde zone.

L’agenda du RSS n’a pas changé. Et c’est au Premier ministre Modi de construire une Inde où les non-Hindous cesseront de vivre dans la peur. Mais le veut-il vraiment? D’après le recensement de 2011, 14,2% de la population indienne est musulmane, soit environ 172 millions de personnes. C’est une minorité en forte croissance. Après l’Indonésie et le Pakistan, l’Inde est le troisième pays ayant la communauté musulmane la plus importante. Plusieurs villes aux noms issus de l’héritage musulman moghol ont été renommées, certains manuels d’école modifiés pour minimiser les contributions musulmanes à l’histoire du pays.

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Entre mai 2015 et décembre 2018, 44 personnes -en majorité musulmanes- ont été tuées dans des lynchages commis au nom de la vache, animal révéré dans l’hindouisme, selon un décompte de Human Rights Watch.

Le parti de Nehru, qui a façonné l’Inde contemporaine, n’a pas obtenu le rebond escompté après cinq années dans l’opposition. Les résultats sont sévères: avec 52 sièges sur 542, le Congrès demeure la 2ème force du parlement, mais très loin derrière le BJP (Parti du peuple indien) du Premier ministre de Narendra Modi qui, avec 303 circonscriptions remportées, garde la majorité absolue en améliorant son score par rapport à 2014. C’était la première campagne de Raul Gandhi, l’héritier de la dynastie des Nehru-Gandhi qui règne sur le Congrès. Malgré un programme généreux qui voulait séduire les classes populaires (plus de 50% de la population), avec notamment l’idée d’un revenu minimum universel, l’homme a échoué. Tout le monde s’accorde à reconnaître son manque de charisme par rapport à Narendra Modi, dont les origines modestes, l’image de décideur, le ton volontairement populiste, les talents oratoires et le soutien des grands médias ont joué un rôle déterminant durant la campagne.

On peut craindre un durcissement  des suprémacistes hindous, car la démographie est un élément déterminant. D’ici la fin du siècle, l’islam délogera le christianisme comme première religion de la planète et la principale concentration de musulmans sera en Inde. Dans ce pays, la population musulmane va presque doubler par rapport à aujourd’hui, pour atteindre plus de 300 millions de personnes d’ici 2050.

Patrice Zehr

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