Reportage : Dans les bus, voleurs et pervers sexuels

Bus maroc

Manque de civisme, éducation à revoir, mœurs et principes évaporés avec le temps, le portrait tiré de la société marocaine d’aujourd’hui laisse à désirer. Que ce soit dans le bus, le train ou n’importe quel autre moyen de transport, ainsi que dans la rue, le comportement de certains Marocains choque.

Commençons par le bus.

A l’arrêt de bus, durant cet après-midi tranquille, assises sous cet abribus en piteux état, quelques personnes, sans mot dire, guettent l’arrivée de ce moyen de transport en commun dans lequel bien des horreurs peuvent se passer.
Peu apprécié des citoyens, le bus est en effet le parent pauvre des moyens de transports en commun au Maroc. Souvent délabré, plein à craquer et pas du tout sécurisé, les personnes y sont serrées les unes contre les autres sur de longues distances et plus souvent debout qu’assises. Les adultes marocains qui prennent le bus sont automatiquement qualifiés de «populace» et les autres, les jeunes, de «racaille».
Le bus arrive chancelant; une épave ambulante dont les fenêtres cassées sont raccommodées au scotch et papier journal. Les portes s’ouvrent sur des tickets colorés et d’autres détritus par terre. Les chaises en plastique sont à moitié existantes et celles qui gardent un semblant de tenue présentent, entre autres, des illustrations d’organes génitaux dessinés au «Blanco»; de quoi en ravir plus d’un!

Les bus, fief des dépravés sexuels

Prendre le bus a toujours été considéré comme une tare au Maroc. «Je ne prendrais jamais le bus, c’est pour les pauvres », disait cette collégienne à la sortie de son école privée de la capitale, en se dirigeant vers la berline allemande de sa maman. Certaines filles, un peu plus âgées, n’osent pas dire aux garçons qu’elles convoitent qu’elles prennent le bus. C’est le cas de Soumia, 17 ans, lycéenne qui, pour ses premiers rendez-vous, propose un terrain neutre, de préférence au centre-ville. «S’il me voit arriver du bus, il me prendra pour une pouilleuse (bouzebal) qui se fait tripoter malgré elle. Je peux comprendre! Quel garçon voudrait sortir avec une fille comme ça?».
Les usagers des transports en commun sont marginalisés et le savent. Pourtant, ils n’ont d’autre choix que de subir les moqueries doublées d’insultes, les regards hautains ou carrément indifférents de la part d’une certaine classe sociale se sentant supérieure… Subir également d’autres contraintes, beaucoup plus graves. Ce sont surtout les femmes et les jeunes filles qui sont concernées. Les transports en commun sont les endroits préférés de pervers sexuels. A l’intérieur, ils se frottent aux femmes, se collent à elles, les touchent furtivement sous prétexte de manque de places. A la sortie, ils profitent de la foule pressée et compressée pour palper les postérieurs en toute impunité. Des vicelards qui trouvent en ces bus un terrain de jeu gratuit et «tout public», pour donner libre court à leurs fantasmes et frustrations sexuelles enfouies. Et les victimes se taisent parce que trop jeunes pour se défendre ou par peur du qu’en dira-t-on, voire même de représailles. D’ailleurs, les femmes ne sont pas les seules à subir cela. Des jeunes hommes, des garçons aussi, se font «toucher» parfois…

Agresseurs, même pas peur!

Hormis les agressions à caractère sexuel, d’autres formes plus «classiques» sont de mise, notamment les pickpockets. «Ils ont l’air d’hommes sérieux, propres sur eux. Tu les verrais dehors, tu ne douterais pas une seconde que ce sont des hommes respectables. Mais dans le bus, ils glissent leur main et ouvrent ton sac sans que tu ne t’en rendes compte», explique cette femme habituée aux voleurs et aux voleuses. La tendance commence par ailleurs à changer. Ce sont des filles à présent qui se chargent de faire les fonds des poches. Elles sont jeunes et paraissent innocentes en revenant de l’école avec leur tablier blanc. Pourtant, ce sont des voleuses aguerries qui agissent souvent en groupe entourant des personnes âgées ou simplement des citoyens tranquilles ne se doutant de rien. «Et les filles, ah, là, là! Elles feraient tout pour s’acheter des Converses et des jeans», renchérit notre interlocutrice, dans un soupir.
Néanmoins, les pickpockets deviennent aujourd’hui (presque) inoffensifs, étant donné que la majorité des citoyens ont compris et imprimé la leçon et, de ce fait, ils prennent plus de précautions avec leur bagage à main. Ce sont les agresseurs, les vrais, avec leurs armes blanches qu’ils collent dans le dos des usagers des bus, pour leur voler téléphones portables, argent liquide et bijoux, qui sont les plus dangereux. Essayer de jouer au récalcitrant, ce serait risquer de se faire perforer le dos ou le ventre. Un exercice périlleux à oublier. «Le simple fait de savoir qu’on est en train de se faire agresser nous fait perdre tous nos moyens, on donne tout. Et personne ne parle, aucun homme ne prend notre défense. Pourtant, les hommes, ce n’est pas ça qui manque», lance une étudiante rencontrée à l’arrêt de bus le plus proche de la faculté. Elle n’a pas tort, elle ne fait que confirmer des études réalisées en 2010 à Casablanca, au Yémen et en Cisjordanie par la Banque Mondiale qui avait constaté que les transports urbains n’étaient pas adaptés à la gente féminine, ne garantissaient pas leur sécurité et, de ce fait, ne les encourageaient pas à travailler.
Moins volumineuse qu’une machette et facile à dissimuler, la lame de rasoir fait elle aussi partie de l’attirail du parfait agresseur dans le bus. Combien de fois n’a-t-on pas entendu dire que telle ou telle personne s’est littéralement fait «décorer» la joue en forme de symbole de Nike, la célèbre marque de sportwear? Si traîner une balafre toute sa vie pour avoir pris le bus est un risque à courir, personne ne le souhaite et encore moins les jeunes et les étudiants.

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Je m’en fous!

18 heures, une horde de lycéens, paquets de biscuits à la main, arrivent et emplissent en une fraction de seconde l’endroit. Dans pas longtemps, tous ces emballages de biscuits et les cosses des graines de tournesol viendront marbrer le sol. Sur le trottoir, le groupe d’élèves bruyants attendent tous que leur bus arrive. Mais quelques malins ne sont là que pour embêter et semer la zizanie. Ils poussent, tapent sur les têtes des autres lycéens avec des bouteilles de limonade en plastique. Ils ne veulent pas attendre le prochain bus; ils veulent monter et maintenant! «Tu voudrais qu’ils montent et pas moi? Pourquoi? Sont-ils meilleurs que moi?», crie un adolescent, un sourire moqueur aux lèvres. Il s’est agrippé aux extrémités des portes du bus, un pied à l’intérieur et le reste du corps pivotant dehors. Le bus fumant s’en va et les têtes dehors commencent à tambouriner sur la carrosserie du véhicule produisant un son très désagréable. Mêlé aux bruits des moteurs et des klaxons, c’est une véritable cacophonie qui s’installe et qui semble ne gêner personne. Du moins, c’est ce qu’il paraît. Dans d’autres pays, le simple fait de parler fort à l’intérieur des transports en commun est mal vu.
Une partie de la foule dispersée, d’autres élèves attendent le bus suivant; ils ont un itinéraire différent de celui des premiers. Tout paraît «normal», jusqu’à ce que viennent des jeunes en motos de cross narguer les autres; ils font des allées et venues et accélèrent, ce qui produit un bruit qui a l’air de déranger tout le monde, cette fois-ci. Au 2ème aller-retour, l’un de ces adolescents sur deux roues reçoit un projectile. Une bagarre éclate. Ce sont deux clans qui s’affrontent. Peu à peu, des adolescents viennent en renfort. La dispute prendra fin quelques minutes plus tard. Leurs t-shirts ont été déformés et ils s’en tirent avec quelques contusions. Mais il n’est pas rare que les bagarres se poursuivent dans l’autobus, causant des dégâts matériels et des mutilations. Les initiateurs ont pris la fuite une fois que le bus est arrivé, pas moyen de les rattraper. Quant aux petits voleurs de livres scolaires revendus aux marchands de pépites, ils ont su profiter de la cohue générale pour bousculer et subtiliser le contenu des sacs, ni vu, ni connu. Manifestement, leur environnement et leur société, ces jeunes s’en moquent comme de l’an quarante.

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Transports urbains: un développement déséquilibré

Ces machines aux toits non étanches, roulant depuis des années le moteur à l’air libre et où l’insalubrité se mêle à la mécanique défectueuse, ne sont pas légion depuis 2008, année durant laquelle les pouvoirs publics ont commencé à s’interroger sur une nouvelle politique de transport urbain. Ce qui a débouché sur la mise en circulation de nouveaux autobus dans différentes villes à partir de 2010. Notamment, M’dina Bus pour Casablanca, Stareo pour Rabat et régions, City Bus Transport pour El Jadida, Fès, Kénitra, Meknès et Tétouan et Alsa Bus pour Tanger. En 2011, la Banque Mondiale a assisté le pays dans son élan vers une restructuration du transport urbain en lui accordant un prêt en deux temps. En 2013, l’Agence Française de Développement (AFD) lui a emboîté le pas en œuvrant pour la mise en place d’un nouveau modèle de gouvernance dédié aux transports et a également aidé au financement de projets ayant trait à l’aménagement des transports.
En somme, beaucoup de projets ambitieux et des partenaires qualifiés pour pallier les lacunes du Maroc en matière de transport, beaucoup de réflexions sur le développement de ce secteur, des modèles viables proposés, des millions dépensés et, pourtant, pas assez d’impacts positifs. Cela s’explique notamment par «des faiblesses institutionnelles et des capacités limitées, des insuffisances en termes de gouvernance et de responsabilités du côté de la demande», relève le document d’information sur le Prêt politique de développement (PID) dans le secteur des transports urbains au Maroc émis par la Banque Mondiale.
Le Maroc se doit donc de régler de front deux problèmes. A savoir, d’une part, la remise à niveau du secteur des transports en adoptant une vision à long terme, intégrant les facteurs pression démographique sur les grandes villes, expansion à vitesse grand V des petites villes, impact écologique, questions environnementales étroitement liées au transport… D’autre part, une réflexion poussée sur les problématiques sociales afin d’arriver à une vraie remise en question et une prise de conscience générale de la part des citoyens quant au manque de savoir-vivre en société qui ruine tous les efforts ayant pour objectif l’amélioration des conditions de vie des Marocains.

A suivre : Comment cela se passe-t-il dans le train ?

Reportage réalisé par YS

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