Que ce soit dans le domaine de la religion, dans celui de la politique, ou celui de l’économie, le corps humain est utilisé comme une arme redoutable.
Dans les religions –toutes confondues- la plupart des interdits ont trait au corps humain, notamment celui de la femme.
En politique, parce que la religion y a été prédominante des siècles durant et que, aujourd’hui, elle connaît un retour en force, le corps humain et les interdits qui l’entourent sont au cœur de toutes les instrumentalisations.
Enfin, dans les circuits économiques et le monde des affaires, le corps humain est utilisé comme un produit d’appel (de réclame diraient les anciens) pour toute marchandise, qu’elle soit de petite ou de grande valeur… Quand il ne devient pas lui-même une marchandise.
Mais l’utilisation abusive de cette arme a créé des rejets et des révoltes qui ont peu à peu conduit à un activisme qui tente de rebattre les cartes. Les militants, politiques ou de la société civile, appellent désormais à une réappropriation par chacun de son corps. La guerre est déclarée. Elle entraîne parfois d’autres radicalisations, d’autres excès.
Et cela, dans le monde, comme au Maroc.
Bien malin celui qui pourrait dire quand le corps humain est devenu un enjeu aussi important, sur les terrains religieux, politique et économique.
On dit que l’Homme descend du singe et dans la préhistoire, l’Homme vivait comme le singe. Il vivait donc nu. Son corps n’était pas pris en considération.
Et tant que le corps n’est pas pris en considération (outre mesure) tout va bien. Il ne fait pas partie des enjeux, qu’ils soient religieux ou autres…
On le voit, aujourd’hui même, dans certaines tribus en terre inconnue (pour reprendre le titre de cette émission de Frédéric Lopez sur France 2 qui emmène les stars françaises chez les indigènes d’Afrique, d’Amérique, ou d’ailleurs, les voir vivre loin de la civilisation), les corps sont quasi-nus, les femmes ne couvrent pas leurs seins et les hommes exhibent fièrement leur verge, parfois coiffée de feuilles d’arbres. Personne n’y prête attention. Là-bas, les gens vivent encore avec le seul souci de se nourrir.
Ça a commencé avec les religions
Il semble que le corps soit devenu un enjeu majeur avec l’apparition des religions. Un enjeu de pouvoir et de compétition dans la morale. Ce sont les religions qui ont multiplié les interdits autour du corps. Particulièrement autour de celui de la femme. Non seulement celle-ci ne devait plus montrer son corps, mais elle ne devait pas non plus exiger d’en être maîtresse. L’homme pouvait disposer du corps de la femme, sans que la religion y voie une quelconque transgression…
De plus, dans toutes les religions, le corps de la femme est perçu comme ayant deux fonctions principales: celle de la reproduction de l’espèce et celle de la préservation de l’honneur de l’homme.
Bien entendu, il est exclu qu’il soit question de jouissance du corps et cela, même pour les hommes.
Ainsi, les hommes d’église, comme les religieuses qui se consacrent à l’adoration de Dieu, camouflent leur corps dans d’amples soutanes, s’auto flagellent quand ils pensent avoir commis un péché et, bien sûr, ne se marient pas.
Les Occidentaux n’ont commencé à jouir d’une certaine liberté dans leur rapport à leur corps que depuis que l’église et l’Etat ont séparé leurs champs d’action. La laïcité a sauvé les corps en terre catholique. Mais tous les pays catholiques ne sont pas sur le même diapason…
Chez les musulmans, on le voit avec le retour en force de l’intégrisme de ces dernières années, le corps humain est l’objet de tous les enfermements, de tous les interdits… Il suffit de voir les ravages du foulard dans les sociétés musulmanes contemporaines. Quand il n’est pas remplacé par cette prison intégrale qu’est la burka !
Et puis la politique a pris le relais !
Mais est-ce bien la religion qui a imposé tout cela ? Trouve-t-on des recommandations explicites, dans ce sens, dans les livres (Coran, Bible, Torah) ?
Le débat oppose ceux qui l’affirment à ceux qui le démentent… Chacun commentant les saints écrits des religions révélées, dans le sens qu’il soutient.
En réalité, le gros coup de pouce a été donné par la politique et les hommes qui l’exercent.
Dans les sociétés musulmanes, patriarcales et machistes, cela arrangeait bien les hommes d’appuyer tous les interdits, voire d’en rajouter pour garder le monopole du pouvoir et de la décision, aussi bien à l’extérieur du domicile familial qu’à l’intérieur.
Et que le corps de l’homme subisse aussi quelques restrictions n’était pas pour les déranger. Tous dans une tunique blanche, la tête sous un keffieh, donc tous égaux !
Du reste, ce sont bien les hommes politiques qui ont peaufiné les interdits en rédigeant les constitutions qui leur donnent le pouvoir, le code de la famille qui légalise les interdits, le code pénal qui durcit la sanction, etc.
Le coup de grâce de l’économie et les proxénètes
Et puis, quand au fil des siècles le monde s’est modernisé et a quelque peu secoué ses chaînes, quand une certaine catégorie d’hommes et de femmes (dans les pays avancés et ceux en voie de développement engagés dans la mondialisation) ont commencé à pouvoir disposer de leur corps, les businessmen sont entrés en scène.
Le corps humain est devenu un produit de réclame ! Pour vendre un produit, on utilise les corps humain dans les campagnes publicitaires. Une utilisation sans retenue ! Les beaux muscles de l’homme pour une boisson énergisante, ou un parfum ; les nudités de la femme pour une voiture aussi bien que pour un pot de yogourt, les petites fesses d’un enfant pour une couche culotte…
Le parfum, la voiture, ou la couche culotte, à eux seuls ne suffisent pas, aux yeux de ceux qui rivalisent d’idées pour coiffer la concurrence au poteau.
Et il faut aller bien loin pour se rendre compte du ridicule de cette compétition.
Dans cette émission «Rendez-vous en terre inconnue», alors que c’était au tour d’Adriana Karembeu de vivre quelques jours avec des indigènes, l’un d’eux (vivant dans le dénuement total) lui a demandé en quoi consistait son travail. La magnifique mannequin s’est trouvée alors dans une grosse et sincère gêne, murmurant: «je suis désolée de le dire comme ça, mais mon travail consiste à être belle, pour porter des habits que d’autres doivent acheter».
Les milieux du business ont porté le coup de grâce au corps humain, en en faisant un passage obligé pour apprécier une marchandise, un article…
Certains affairistes mafieux et de mauvais aloi ont même franchi le cap en transformant le corps humain lui-même en marchandise. Ce sont les proxénètes.
Bien sûr, pour qu’il y ait proxénètes, il faut qu’il y ait prostitués (hommes ou femmes). Mais la différence, c’est que le ou la prostitué (e) vend son corps parce qu’il l’a décidé et en tire bénéfice pour lui-même. Alors que le proxénète exploite le corps d’autrui pour son propre commerce.
Et les excès ont engendré des réactions
La question est de savoir si ce sont les abus concernant les interdits autour du corps qui ont entraîné les abus dans le sens inverse ?
Un passage en quelques siècles, de la soumission religieuse à l’insoumission laïque…
En fait, les choses ont évolué progressivement, mais par à-coups.
Il y a eu les révolutions. Puis les vagues hippies. Puis les mouvements du genre «Mai 68» et ses slogans dont personne n’oublie «il est interdit d’interdire».
Les révolutionnaires, les jeunes et les militants de la laïcité ont peu à peu foulé tous les interdits et toutes les utilisations abusives du corps par les tiers.
La grande formule consistait à dire que chaque personne doit se réapproprier son corps et tout ce qui va avec.
Libre de s’habiller comme on veut. Libre d’avoir des relations sexuelles comme on veut. Libre de contester l’instrumentalisation du corps par les religieux, les politiques et les affairistes. Libres de tout ce qui concerne son corps !
Une autre vague, sérieuse, a donné du contenu à cette révolte contre l’utilisation indue du corps, c’est la vague féministe.
De grands intellectuels (femmes mais aussi hommes), de grandes ONG, ont porté le flambeau des libertés de façon intelligente et organisée.
Il y a eu quelques dérapages, parfois, mais dans l’ensemble, le mouvement était sérieux et a permis de nombreuses avancées dont les retombées sont aujourd’hui encore d’actualité.
Les excès, toujours mauvais
Une réaction, cependant, pose problème. Celle des Femen. Ce qui dérange chez ces femmes dont le Mouvement est né en Ukraine, et qui utilisent la nudité pour tout contester, ce sont les excès. Les excès sont toujours mauvais.
Certes, elles ont fait le choix de choquer en utilisant leur corps comme une arme de contestation massive. Mais quand un mouvement suscite autant de rejet que d’efficacité, il n’obtient que 50% du résultat escompté, dans le meilleur des cas.
Les Femen ont du courage, de l’audace, mais certains diront d’elles pis que pendre et les accuseront même de défigurer le féminisme et les causes qu’elles croient servir. Dans nos sociétés n’en parlons même pas !
Et pourtant, elles se sont déjà manifestées dans nos régions.
En Tunisie, avec l’affaire de Amina, une Femen tunisienne incarcérée pour manifestation seins nus, puis relâchée quelques mois plus tard après une mobilisation de ses camarades.
Au Maroc, où non seulement il y a eu une de leurs exhibitions, mais une Marocaine a rallié leurs rangs, son corps nu se trouvant depuis –et sans complexes de sa part- sur le web.
Le corps utilisé comme arme, dans un sens ou dans l’autre, ce sera de moins en moins possible et certainement pas avec les excès que l’on a pu enregistrer jusque-là.
Mariem Bennani
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Leur avis…
Aïcha B, mère au foyer
Moi, je crois que nous devons nous en tenir à notre religion et à nos traditions et être raisonnables. Notre corps nous appartient d’accord. Personne ne doit en disposer contre notre gré. Mais ça ne veut pas dire que nous pouvons l’exposer à tous les regards et sous tous les angles. Nous n’avons pas été éduqués comme ça et il y a des convenances qu’il faut respecter. Sinon, c’est nous-mêmes qui ne serons pas respectés.
Je suis choquée de voir tous ces jeunes dans la rue, soit à moitié nus, soit habillés comme des étrangers, cheveux en crête de coqs, bras tatoués et pantalon en dessous des hanches. C’est ça disposer de son corps ? Je ne parle même pas des petites jeunes qui commencent à avoir des relations sexuelles avec les garçons dès 15 ans, sous prétexte que les temps ont changé et qu’elles sont libres de faire ce qu’elles veulent de leur corps et de leur vie. Non, je ne suis pas d’accord.
Malika L, agence de communication
Je suis bien contente de vivre à une époque où je peux faire ce que je veux de mon corps. C’est une victoire arrachée de haute lutte par d’autres qui y ont sacrifié leur vie ou leur liberté. Ne serait-ce que pour le prix qu’ils ont payé, nous devons jalousement préserver ces acquis. Et ce n’est pas parce que nous habitons un pays musulman que nous devons laisser les extrémistes nous reprendre ce que ces militants nous ont généreusement légué. Ils nous ont permis de vivre libres. Vous vous rendez compte, si on devait revenir aux temps où la femme était enfermée, ne dépendant que du bon vouloir de l’homme et prête à satisfaire ses seuls désirs ? Je sais qu’il y a encore des gens qui vivent comme ça dans nos pays, mais c’est à nous de les tirer vers le haut, pas à eux de nous tirer vers le bas.
Aziz A, webmaster
Moi, je passe mon temps sur le web. Je vois donc toutes les calamités que cette pseudo liberté a entrainées. Et je ne voudrais pas que les femmes de ma famille soient comme ça. Je ne veux pas voir ma sœur nue, manifestant devant des passants et des policiers. Si elle le fait, son corps n’est plus son corps, c’est celui de toute la famille. Parce qu’on sera aussi montrés du doigt. Je ne supporterais pas que ma femme s’habille comme ces filles que je croise sur mon chemin et que tous les hommes se retournent sur son passage en ricanant. La liberté du corps, c’est peut être bien, mais pas avec cette exagération. Je n’aimerais pas qu’une brute dispose comme il lui plairait du corps de ma sœur. Je veux qu’elle ait son mot à dire, qu’elle choisisse son conjoint. Mais quand elle aura choisi, il faut qu’elle respecte son choix et sa famille. Il ne faut pas trop de liberté, comme chez les étrangers. Nous, on a nos traditions !
Azzeddine S, jeune cadre
Bien sûr, je ne suis pas totalement d’accord avec la façon de faire des Femen, mais si elles ont fait ce choix, ça les regarde. En plus, elles obtiennent parfois des résultats. C’est courageux. Maintenant, est ce que je supporterais que ma femme ou ma sœur fasse pareil ? Je ne sais pas. Ma sœur est libre. Si elle estime que c’est là que se trouve son combat, Je n’ai pas le droit de l’en empêcher. Je peux essayer de la raisonner, c’est tout. Pour ma femme, c’est autre chose. On est marié. On est donc deux. Elle n’est plus libre -et moi non plus- de prendre des décisions unilatérales. On doit décider de tout ensemble Et si elle me posait la question, je lui dirais que je ne suis pas d’accord qu’elle se dénude pour contester quelque chose. Il y a des moyens plus sérieux de le faire. Mais l’utilisation du corps dans la publicité, ça, je ne le supporte plus, tellement ils en ont usé et abusé !