Ma vie de tatoueuse…

Jamila, 24 ans, «hennaya» (tatoueuse au henné), mère de deux filles, raconte sa passion pour ce métier qu’elle associait aux fêtes et aux festins, jusqu’à ce que sa vie en dépende…

«Je suis hennaya, c’est mon métier. Je tatoue des motifs au henné sur les mains et sur les pieds. Je sais la technique depuis l’âge de 5 ans. C’est ma mère qui me l’a apprise et a continué à me l’enseigner. Ma mère, qui détient ce savoir de sa tante maternelle, travaillait avec une «neggafa» (préposée aux fêtes et cérémonies nuptiales) bien connue dans la ville. «El Hajja el Rbatia» a toujours eu une excellente réputation. C’est à elle que les familles confiaient les futures mariées pour célébrer leurs noces.

Elle les habillait, les parait et orchestrait le déroulement de la cérémonie. Elle s’occupait aussi des jeunes mamans pour le baptême de leur enfant ou la circoncision des garçons.
C’était une femme pieuse, avec beaucoup d’années d’expérience. Son savoir-faire tenait des rites de la tradition et des coutumes ancestrales, légué de mère en fille. Son équipe, composée de femmes, avait fait l’objet d’une sélection consciencieuse pour l’assister comme il le fallait. Ne pouvaient l’accompagner que des femmes mariées, intègres, dociles, avec un sens de la moralité très aigu.
Ma mère faisait partie de ce lot de femmes. Elle était douée de patience à réaliser les beaux motifs. Les jours de fête, nous étions si fiers d’exhiber nos jolies mains tatouées. Je caressais le rêve de pouvoir un jour, moi aussi, devenir une grande tatoueuse, parce que je croyais dur comme fer que ma mère avait une chance inouïe d’être conviée en quasi permanence à toutes sortes de fêtes; alors que nous, nous restions avec mon père à la maison! Petits, nous pleurions à grands cris de la voir joliment vêtue à chacun de ses départs; nous ressentions cela comme une énorme injustice, une punition. Elle nous consolait royalement à son retour avec des trésors. Elle ramenait une multitude de gâteaux et ses parts des différents repas: un véritable festin! Je ne sus que plus tard, quand j’ai grandi, que c’était le gagne-pain de toute la famille. Je voulus alors, coûte que coûte, apprendre ce qu’elle produisait. Ma mère ne refusait jamais et, chaque fois qu’elle le pouvait, elle m’initiait à ses nouveaux motifs.
Vers l’âge de 8 ans, dès mon retour de l’école, j’enfilais une robe longue noire -cette couleur dissimulait les taches que j’avais inévitablement à mon retour- et un foulard pour ne pas être reconnue. Avec mon matériel enfoui sous ma robe, j’allais proposer mes travaux à l’entrée du mausolée du Saint Patron de notre ville, Cheikh El Hadi Benaïssa. Je recevais quelques dirhams avec lesquels j’avais pour ambition de m’offrir une magnifique poupée que j’avais vue dans un immense magasin de jouets. Mes parents ne savaient pas où j’allais, ni ce que je faisais. Ils pensaient que j’étais dans le voisinage en train de jouer. Ma mère, qui revenait fatiguée, dormait toute la matinée, parfois même jusque dans l’après-midi. Mon père, généralement, s’en allait pour faire les courses ou s’attablait avec ses amis dans son café favori. Chacun de mes grands frères et sœurs avaient une tache domestique à accomplir après l’école. Moi, j’arrivais à me défaire du clan pour aller m’adonner à ma passion. Je fus démasquée lors d’une dispute. La fille d’une tatoueuse, qui souvent venait me chercher querelle pour voir déguerpir mes clientes, m’avait ce jour-là tiré les cheveux alors que j’étais à l’œuvre. Je n’avais pas hésité à lui sauter dessus. J’en avais assez qu’elle soit tout le temps sur mon dos. Malheureusement pour moi, sa mère était là. Elles m’ont tabassée. Je me suis enfuie pour rentrer chez nous. Mais je n’ai pu cacher mes écorchures et les griffes qui me lacéraient le visage et le corps. Sur le coup de mes aveux, bien sûr, toute ma famille s’est rendue sur les lieux et m’avait bien vengée; mais je n’ai plus jamais pu sortir à ma guise.
Je ne me sentais pas douée pour étudier, je m’ennuyais terriblement et j’ai très vite délaissé l’école. Mes parents étaient peu fiers de ma décision, mais ils n’insistèrent pas. Ils avaient peur qu’un jour je fugue. Par contre, ils m’avaient inscrite à des cours gratuits de broderie et à la couture traditionnelle dispensés dans une association. J’y ai passé deux années, je me sentais comme prisonnière dans ces lieux. Mon travail peu soigné en témoignait largement. Au cours de cette période, je rencontrai mon futur mari. Il était garçon de café, il me voyait passer tous les jours. Le jour où il m’adressa la parole, je sus qu’il n’habitait pas loin de chez moi et que nos pères se connaissaient bien. Il n’avait aucune fortune et avait mis deux ans pour se décider à me demander en mariage.
J’ai deux enfants et ce n’est pas le travail de mon mari, ni la couture et la broderie qui permettent à notre foyer de tenir le coup aujourd’hui. Mon mari a toujours eu d’énormes difficultés à subvenir à tous nos besoins. Je sais qu’il donne la moitié de ce qu’il gagne à ses parents. Une fois le loyer payé, il ne nous restait vraiment plus rien. Pour cette raison, dès notre première année de mariage, mon mari m’a accordé la permission d’exercer ma première passion. Depuis, je suis tatoueuse publique, j’opère sur la place la plus fréquentée de la ville. Je travaille aussi pour des negaffas, mais surtout l’été. On me confie les mains et les pieds de plusieurs mariées. En général, mes bonnes saisons sont le printemps et l’été, mais il y a aussi les fêtes religieuses. Je ne débute alors mon travail que l’après-midi et je rentre à la maison dès qu’il ne fait plus jour. Je ne vais jamais m’enrichir avec mes travaux, mais cela permet à ma famille de survivre. Il y a aussi de plus en plus de concurrence. C’est un moyen de survie honnête pour beaucoup de jeunes filles et de mères de famille nécessiteuses.
Je ne délaisse jamais mes filles, je préfère les avoir à mes côtés quand elles ne sont pas à l’école. Leur père ne peut jamais s’en occuper. Je me dispute souvent avec lui, parce qu’il ne fait aucun effort pour améliorer notre existence. Il a seulement eu le culot de s’endetter pour aller se mettre des bagues sur les dents afin de les aligner. Un orthodontiste client habitué du café dans lequel il travaille l’a roulé en lui accordant une facilité de paiement qui va durer toute une vie, alors que nos filles n’ont pas de literie décente et que nous n’avons pas encore de réfrigérateur! Nos querelles tournent toujours autour de ces mêmes sujets. Lorsque je lui reproche son manque de responsabilité, il me rétorque qu’il a des soupçons sur ma fidélité, parce que je ne lui remets pas les cagnottes de mes journées. Heureusement que j’oublie tout cela lorsque je me mets à l’ouvrage et que mes clientes sont satisfaites. Sans cela, je ne sais pas quel genre de vie j’aurai eu à offrir à mes filles avec ce papa pauvre, mais avec une belle dentition»!

C’est décidé, je me prends en main

Mariem Bennani

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