La mendicité ne me suffit plus

Zoulikha, 60 ans environ, vit de la charité. Elle nous confie, amère, sa vie et ce qui a changé dans ce «métier» dont elle arrive de moins en moins à vivre…

«Mendier est une activité que j’exerce depuis un bon nombre d’années déjà. C’est mon unique source de revenu. Croire que c’est une planque tranquille est une pure méprise. Je ne suis pas une opportuniste, ni une aliénée atteinte du syndrome de mendicité. Non, je suis vieille, sans force, sans enfants, sans aucune protection contre la misère. Ce qui est un comble et m’affecte aujourd’hui, c’est qu’il y a de plus en plus de personnes qui viennent troubler mon espace pour me disputer ce semblant de ressource. Et puis, il faut carrément le dire, les gens généreux se font de plus en plus rares. Vous pouvez les harceler, les poursuivre, les supplier pour obtenir une petite pièce, ils vous remballeront avec une agressivité déconcertante. Ils se fichent de vous savoir misérable, sans aucun autre moyen pour survivre. Ils vous balanceront une phrase du genre: «Je ne vais quand même pas partager mon salaire et débourser 50 DH par jour pour vous autres mendiants et gardiens de voitures». Ça nous désespère, mais c’est une triste réalité: notre nombre s’accroît de plus en plus. J’ai parfois envie de leur répondre qu’il en aurait été autrement, si j’en avais eu le choix. Assurément, mais à quoi bon rabâcher une telle évidence?

Autrefois, avant de débarquer dans cette métropole, j’ai vécu tranquille dans un hameau où seule une poignée de familles résidaient. Le reste des environs n’était que terres et montagnes à perte de vue. J’y ai passé plus de la moitié de ma vie à servir mes parents et les membres de ma famille. Nos revenus étaient très modestes. Ils provenaient de la cueillette des olives, des figues de barbarie et de quelques plantes aromatiques. Nous avions aussi quelques chèvres et des poules. Tout a basculé pour moi après le décès de mon père suivi de celui de ma mère. Mes frères qui étaient dans le devoir de me protéger m’ont mise à la porte. Ils se sont partagé la demeure familiale avec leurs épouses et leurs enfants sans se soucier de moi. Ma présence, une bouche à nourrir dérangeait au point que, pour me faire déguerpir au plus vite, il ne se passait pas un jour sans qu’ils provoquent un drame. J’ai été insultée, rouée de coups par mes belles-sœurs et leurs enfants. Le dernier de leur complot m’a fait prendre mes jambes à mon cou, sans quoi j’aurai pu y passer. Au fond, n’était-ce pas mieux, vu l’évolution de ma vie? Je me le suis demandé si souvent. J’ai erré dans cet état de détresse, les vêtements en lambeaux, la peau déchiquetée, toute sanguinolente. J’avais même perdu la raison. De jeunes voyous ont profité de mon infortune en me séquestrant. Sans pitié pour mon état, ils ne se sont pas gênés pour abuser de moi. C’est un ami de mon père qui a eu vent de mon sort qui m’a sortie de ce pétrin. Mais, sans le vouloir vraiment, il m’a mise dans un autre. Il m’a placée pour cacher ma misère dans une petite taverne du village avoisinant. J’y ai trouvé refuge. En contrepartie, je devais travailler sans aucune rémunération. J’y suis restée pas mal de temps exploitée et maltraitée jusqu’à ce que je trouve sur le sol, alors que je balayais, un porte-monnaie avec quelques billets enroulés. Je n’ai pas attendu la nuit pour me sauver et m’en aller le plus loin que je pouvais. C’est ici même où j’ai atterri. Personne ne m’avait jamais accordé le moindre intérêt, ni un seul regard. Seule la curiosité et la pitié d’un gardien de voiture handicapé m’ont permis de retrouver un semblant de dignité. Il m’a hébergée chez lui, une minuscule chambre dans une vieille bâtisse délabrée que j’occupe encore actuellement. C’est le seul être généreux que j’ai connu jusqu’ici. J’ai vécu sous sa protection durant plusieurs années. Il est mort, me laissant encore une fois toute seule à me dépêtrer dans la jungle. Ne sachant rien faire, morte de faim, je suis sortie pour mendier. Au départ, cela n’a pas été facile, la honte me bloquait. Tétanisée, je n’osais quémander la moindre miche de pain ou la moindre pièce. Je n’ai plus eu de complexes une fois postée devant une mosquée. Je me suis rendue tous les jours à la même place jusqu’à ce que d’autres miséreux soient venus nous bousculer, les habitués et moi. Il a fallu aller chercher ailleurs. Fort heureusement, je n’étais plus cette gourde venue du bled. La vie m’a appris à me défendre.
Maintenant, j’ai d’autres soucis. Ma santé est précaire, je ne peux plus rester debout longtemps. Il m’est difficile de garder la place que j’occupe devant ce supermarché. Les services de sécurité du centre commercial y mettent leur grain de sel en me l’interdisant de temps à autre. Plusieurs fois, également, j’ai été attaquée par des femmes plus jeunes et plus fortes que moi et par des voyous aussi. Encore une fois, j’ai la protection d’un autre gardien de voiture. Faut pas vous faire d’idées, celui-là est très jeune…
Et puis, sachez-le une bonne fois pour toutes, la mendicité ne me rapporte plus grand-chose. Je vous le jure, c’est une sacrée concurrence que nous avons sur le terrain. Il y a nous, les vrais mendiants locaux. Il y a ceux qui en ont fait un véritable fonds de commerce. Et il y a les nouveaux arrivants, comme les Subsahariens et les Syriens. Que faire sinon continuer de nous battre pour survivre jusqu’à ce que la mort vienne nous délivrer enfin de cette misère?»…

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Mariem Bennani

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