Remous politiques : Qu’en pensent les Marocains ?

Que disent les Marocains des remous politiques qui ont suivi l’annonce de retrait du gouvernement faite par le parti de l’Istiqlal ? Micro-trottoir.

Abderrahim Derraji

«Un des problèmes importants à soulever actuellement dans notre pays, c’est la balkanisation du pouvoir, ce qui est une mauvaise chose. L’actuel gouvernement regroupe quatre partis: le PJD, le PI, le MP et le PPS qui est un parti de gauche. Entre le PJD et les autres partis, il n’y a pas une grande similitude. Le PJD et le PI n’ont pas les mêmes approches politiques. Donc, ce gouvernement n’a jamais été un mariage de sens. Il a fallu que le PI change de secrétaire général pour que Chabat décide de tout chambouler en voulant soit un remaniement ministériel, soit se retirer de l’actuel gouvernement pour être dans l’opposition. Cela fait à peine un an et demi que ce gouvernement est élu et déjà tout le monde se met dans la peau des analystes ou des spécialistes de la vie politique pour le critiquer.

Il faut donner à ce gouvernement plus de temps pour pouvoir travailler et aller de l’avant. Lhoussine Louardi, par exemple, est un ministre très appliqué et très sérieux. Il fait d’énormes efforts dans le secteur de la santé, mais les gens sont très ingrats. Mais à quoi sert l’opposition? Si elle est là, en général, c’est pour surveiller le travail du gouvernement et être une force de proposition. Mais ce qu’on remarque chez nous, par contre, c’est que l’opposition veut à tout prix broyer l’autre partie. On voit bien qu’il y a une instabilité politique régionale, un tiraillement entre nos partis politiques et une crise économique mondiale. Ce sont des défis auxquels il faut faire face. Nos partenaires économiques sont en difficulté, nos émigrés aussi, ce qui a impacté négativement les Caisses de l’Etat. Aujourd’hui, nos politiques sont immatures et seul le Roi est garant de la stabilité. Ce qui compte pour nos politiques, ce sont leurs intérêts personnels ou l’intérêt de leurs partis respectifs et ils sont d’une cupidité incroyable. Ceci dit, il y a des gens intéressants, il faut leur donner la chance de défendre leur vision des choses».

Mohssine Benzakour, psycho-sociologue

Mohssine Benzakour

«Pour moi, Chabat et Benkirane s’égalent: ils ont le même type de personnalité. Et ils pensent de la même façon. Chabat, il y a à peine quelques mois, a été élu secrétaire général par son parti et il ne se gêne pas pour demander un remaniement ministériel et annoncer par la suite sa volonté de retirer ses ministres du gouvernement. Mais il ne le fait pas officiellement; il ne fait que de la surenchère. Il déguste son épreuve de force et critique Benkirane. Le chef de gouvernement, pour sa part, parle des «crocodiles» et des «démons» qui l’empêchent de travailler. Mais enfin, qu’est-ce que c’est que ce jeu d’enfant? Qu’est-ce qu’on gagne de tout cela? Les jeunes se désintéressent de la politique. Est-ce de cette façon qu’on va les pousser à se politiser? Loin de là. Ce que fait Chabat, c’est de la politique politicienne. Il ne contribue qu’à la déstabilisation, alors qu’on a besoin de stabilité politique. En plus, on est en pleine crise économique. Qu’est-ce que le Maroc gagne de tout cela? Rien. L’impact, par contre, sera des plus négatifs en cas de retrait du PI du gouvernement. Cela va coûter trop cher au Maroc, à tous les niveaux. En critiquant Chabat, cela ne veut pas dire que je défends Benkirane, parce que rien de ce qui a été proposé dans son programme n’a été réalisé. C’est en fait le résultat des divergences qui marquent le comportement de la majorité».

Abdelkhalek Sibari, chef d’entreprise de manutention

Abdelkhalek Sibari

Les clients potentiels deviennent de plus en plus réticents par manque de visibilité. La crise économique impacte négativement l’activité de l’entreprise dans le sens où notre activité et basée sur la commande des entreprises qui investissent et installent des unités industrielles. La réticence de nos partenaires provient du manque de visibilité de la politique économique et sociale adoptée par le gouvernement. A ce sujet, il y a lieu de préciser que, malgré les efforts déployés par le gouvernement actuel, celui-ci n’arrive pas à mettre en œuvre une politique susceptible d’encourager l’entreprise nationale et de lui créer un climat propice pour garantir sa compétitivité aux niveaux national et international. Je cite, à titre d’exemple, le code d’investissement qui, en dépit des facilitées octroyées aux investisseurs nationaux, consacre plusieurs avantages aux investisseurs étrangers et leur permet de réduire considérablement leurs charges avec comme effet direct la réduction du coût de production. Par conséquent, le prix de revient devient imbattable. Afin de créer un équilibre permettant à l’entreprise nationale, notamment la PME, de mieux résister, il serait judicieux de mettre en œuvre des dispositions dans l’immédiat en faveur des entreprises nationales, dont l’adoption d’un système de quota permettant l’accès aux carnets de commandes et une obligation d’une sous-traitance avec les entreprises nationales».

Regards croisés sur le budget de l’Etat

Hasna, chef d’entreprise de transport international

 «Depuis 2008, le secteur d’activité du transport international routier, aérien et maritime particulièrement est sensible aux fluctuations économiques qu’il subit de plein fouet à cause de la crise mondiale. La situation, qui était rayonnante, a donc viré au cauchemar pour les professionnels du secteur. Toute la filière est aujourd’hui en crise, suite à une baisse des carnets de commande. Au Maroc, ce secteur a résisté à la crise économique mondiale et n’a connu un ralenti que depuis 2011. Les recettes ont énormément baissé et les transporteurs ont ressenti cela. Les exportateurs et les importateurs ont préféré réduire leurs activités parce qu’ils n’ont pas de visibilité quant à la politique de l’actuel gouvernement. Selon eux, du jour au lendemain, des lois peuvent voir le jour; surtout des lois pénalisant leurs activités. Et puis, même la loi de Finances n’a pas été épargnée suite à la dernière coupe budgétaire concernant les investissements. Les gens qui ont des capitaux ont préféré garder leur argent chez eux. Ils n’ont plus confiance dans nos politiques. Il s’agit en fait d’une crise psychologique et non pas économique, puisque notre pays a d’importantes ressources. A mon avis, il faut se concerter avec les économistes et les acteurs économiques avant d’adopter n’importe quelle loi. Et il faut surtout encourager les investisseurs marocains».

Yasser, étudiant à l’Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Casablanca

Yasser etudiant

Le PJD manque d’expérience pour bien diriger le pays, d’autant plus que les partis ne lui facilitent pas la tâche. L’on s’aperçoit qu’au sein même de la majorité gouvernementale, il y a un désaccord entre le PJD et le PI, ce qui rend sa mission très difficile. Ce désaccord, s’il est là, c’est parce que les deux partis ne sont pas sur la même longueur d’ondes politiques. Dernièrement, il y a eu une fusion entre le Parti socialiste, le Parti travailliste et l’USFP. C’est ce que devraient faire aussi les autres partis pour avoir moins de partis politiques et plus de poids. Ce genre de fusion n’est en fait qu’un concentré des mêmes idées. Le PJD doit donc avoir des alliés qui ont les mêmes orientations politiques que lui et la même analyse politique. Lors des élections, le PJD a fait beaucoup de promesses. Mais au lieu de concrétiser ces promesses, il est entré dans des combats insensés. Ceci a impacté de façon négative son image. Il doit oublier son entourage et travailler durement s’il veut gagner de nouveau la confiance des électeurs. L’Istiqlal, pour sa part, lui a assené un coup dur, ce qui a contribué à produire une certaine agitation politique dont le Maroc peut se passer».

Tariq, employé

Tarik

«Avant les élections, les gens s’attendaient à ce qu’il y ait de grands et vrais changements, surtout avec l’avènement d’un parti à référentiel islamique. Et ces changements devraient toucher tous les secteurs. Mais nous étions déçus à tous les niveaux. Déjà, on s’aperçoit qu’il n’y a pas une harmonisation au sein même du gouvernement. Et puis, Benkirane prenait des décisions de façon unilatérale, alors qu’il devait consulter les trois autres partis de sa majorité. Le PJD n’a pas pu imposer ses approches à référentiel islamique, ce qui constitue, à mon avis, une grande contradiction. Et puis, les promesses n’ont pas été réalisées. Cela nous permet de conclure qu’il n’y a en fait que les intérêts du parti qui comptent. Les problèmes du peuple, des villes et des campagnes, personne ne s’en occupe. Actuellement, le Maroc a plusieurs défis à relever, dont la défense de notre unité territoriale, la résilience à la crise économique et le développement de notre pays. On doit se focaliser sur nos réels problèmes. Le Parti de l’Istiqlal ne doit pas jouer un rôle de perturbateur et créer des obstacles à l’actuel gouvernement dont il fait pourtant partie».

Hicham, enseignant universitaire

 «Les agitations politiques vécues par notre pays ces derniers temps, franchement, le Maroc doit les dépasser. Les partis ont à travailler durement pour aller de l’avant. L’objectif, en fait, c’est développer le pays, créer des emplois pour les jeunes chômeurs, lancer des projets structurants, etc. Il est temps que les partis fassent des concessions, parce que ce qui compte le plus, c’est l’intérêt de notre pays. Au temps de Abbas El Fassi, il y avait une charte gouvernementale. Mais avec Hamid Chabat à la tête de PI, il y a eu plein de perturbations. Nos défis sont donc multiples. En plus de notre cause nationale concernant le Sahara, il faut faire d’énormes efforts dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’économie nationale. Les parlementaires doivent quant à eux parler de nos problèmes et nous représenter à 100%. Ce qu’il faut au juste, c’est laisser l’actuel gouvernement faire son travail. Il y a à peine un an et demi qu’il est là et il vaut mieux ne pas le perturber dans son action et le laisser se concentrer sur sa mission de gérer le pays. Ce n’est qu’à la fin de son mandat qu’il faut le juger».

Politique générale du gouvernement : El Othmani au Parlement le 5 février

Abdelkrim, chauffeur de taxi

Abdelkrim

«Le Parti de l’Istiqlal est un parti qui a beaucoup d’expérience en termes de politique. Il a dirigé le pays pendant plusieurs décennies. Mais il est derrière tous les problèmes de la scène politique. Au lieu d’aider le PJD à trouver des solutions aux problèmes de notre pays, il envenime la situation. C’est vrai que ce parti (le PJD) manque d’expérience, que Benkirane a fait preuve de populisme et que les promesses n’ont pas été tenues. Mais il est élu par les Marocains durant les élections de 2011. Il faut donc le laisser travailler».

 

 

Youssef intermédiaire et promoteur immobilier

 «Cela fait à peine un 1an et demi que le gouvernement de Abdelilah Benkirane est là. On ne peut ni le juger, ni lui demander de partir. Il faut plutôt le laisser accomplir sa mission, celle de diriger le pays et de l’orienter vers la bonne voie. Il a un programme, il faut lui donner tous les moyens pour le réaliser et surtout l’encourager. Ce n’est qu’à la fin de son mandat qu’on a le droit de faire un bilan de ce qui a été accompli et de ce qui n’a pas été fait. Mais il faut aussi préciser que l’avènement de ce gouvernement en 2011 a coïncidé avec la crise économique mondiale qui a commencé en 2008 et qui persiste toujours».

Zakaria, moniteur de coiffure

Zakaria

«A vrai dire, on ne comprend pas très bien ce qui se passe actuellement sur la scène politique. Personnellement, même si je m’intéresse à la scène politique, j’ignore qui a raison: est-ce Abdelilah Benkirane ou Hamid Chabat? J’ignore d’ailleurs lequel des deux peut vraiment apporter les solutions et les réponses adéquates aux problématiques des Marocains. En ce qui concerne le chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, je dois souligner que l’on n’a pas encore vu se concrétiser les promesses et les projets dont son parti avait parlé lors de la campagne électorale de novembre 2011. Mais on attend toujours beaucoup de choses de ce gouvernement. On attend qu’il s’attaque aux réformes, notamment de la CNSS et des Retraites. Tenir des élections anticipées comme le demande le Parti de l’Istiqlal n’est pas la solution et ne fera que retarder l’aboutissement de ces réformes. Il faudrait donc procéder incessamment à un remaniement ministériel».

 

 

Youssef, associatif

 «C’est en regardant les infos à la TV que j’ai appris que le Parti de l’Istiqlal a décidé de se retirer du gouvernement de Benkirane. Une décision qui ne peut s’expliquer que par l’absence d’une cohésion et d’une entente entre les composantes de la majorité. En fait, je ne m’intéresse pas vraiment à ce qui se passe sur la scène politique et je ne cherche d’ailleurs pas à en connaître les détails. Car j’ai déjà une certaine idée sur les politiques: nous ne pouvons rien attendre de ces partis politiques. Avant qu’il ne soit chef de gouvernement, Benkirane avait parlé de beaucoup de choses. Lors des élections de novembre 2011, il avait promis que bon nombre de choses allaient changer dans le bon sens. Mais, au contraire, il paraît que les choses se sont même dégradées pendant son mandat. Depuis qu’il est devenu chef de gouvernement, on n’a pratiquement rien vu venir. En tout cas, rien de concret pour le simple citoyen. Benkirane avait parlé de l’augmentation du SMIG à 3.000 dirhams. Mais ce n’était que des paroles. Va-t-on tenir des élections anticipées? Je n’en sais rien. Mais dans le contexte actuel et vu la crise qu’il y a, il serait difficile de tenir des élections, car cela va coûter très cher au pays. A mon avis, on ne peut attendre quoi que ce soit de ces partis politiques. Et, de toute façon, il n’y a pas de différence entre les différentes composantes du gouvernement».

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