Les vérités de Me Daniel-Sédar Senghor, Président de l’Union Internationale du Notariat

Daniel sedar senghor union internationale des notaires

«Je dénonce l’inertie des Etats et la dictature de la Banque mondiale…»

Les notaires méditerranéens sont en conclave à Tanger (26-27 mars 2015). Quelles sont les raisons du choix du Maroc et pour quelle cause?

Les notaires méditerranéens se réunissent dans cette prestigieuse ville qui se trouve justement au bord de la Méditerranée: c’est la première raison. Et puis, parce que le colloque est celui des Notariats méditerranéens dans sa cinquième édition, après la première à Marseille, la seconde à Antalya (Turquie), la troisième à Alger et la quatrième à Naples (Italie).

Qu’avez-vous à débattre à Tanger?

Ce colloque est une occasion pour les notaires d’échanger leurs expériences. La Méditerranée, c’est ce lieu où est né le scribe qui est l’ancêtre du notaire, à mi-chemin entre l’Egypte et la Mésopotamie. Et c’est bien ainsi: ça ne permet à aucun continent d’en revendiquer exclusivement la paternité.

Avez-vous des conférences régionales?

C’est pour essayer d’harmoniser un certain nombre de pratiques, des fondamentaux sur la délégation d’une prérogative du public en direction de l’opérateur privé. C’est l’ancêtre du PPP (Partenariat Public-Privé) qu’est la technique notariale.

Cette technique s’accommode quand même de disparités et autres différences…

Tout simplement, parce que le notaire n’est pas le seul à maîtriser la décision de la loi. C’est une assemblée nationale qui a des rapports d’opportunités historiques et qui, à un moment donné, modifie la loi différemment d’un pays à l’autre. Donc, il y a toute une mosaïque de disparités et c’est cela qui est important, parce qu’il y a des fondamentaux en commun et énormément de différences. C’est cet échange permanent qui permet d’échanger les expériences et les avancées législatives d’un pays à un autre.

Qu’est-ce qui a été concrétisé sur le terrain des recommandations de la 4ème édition de votre colloque?

Il y a des projets de loi, mais aussi une meilleure connaissance, par les uns et les autres, des enrichissements dans la pratique. Par ailleurs, ça permet aussi de dresser une espèce d’appréciation médiane de la situation de la profession. C’est normal, nous sommes dans un village planétaire et il faut mettre en commun les forces pour réussir.

Est-ce que le notaire peut jouer un rôle politique?

Le notaire joue sûrement ce rôle. D’ailleurs, toute action l’est assurément. Le journaliste, en diffusant mes propos, c’est déjà politique. Ça provoque une réaction d’acceptation ou de rejet. En définitive, cela provoque un débat, une réflexion et cette dernière est politique.

Quelles sont les obligations du notaire?

Il a des obligations d’impartialité, de confidentialité et d’indépendance. Il est prestataire d’une fonction publique. Il est délégué par l’Etat pour appliquer son sceau en bas d’un acte notarial.

La valeur de cet acte notarial?

Le notaire bénéficie de tous les attributs et a exactement la même valeur qu’un jugement rendu en dernier ressort par un tribunal. C’est dire qu’il est incontestable, sauf si vous l’attaquez pour le motif qu’il aurait commis un faux.

Ça arrive?

C’est rarissime, en pratique, mais c’est du domaine du possible.

Quelles sanctions dans ce cas?

Le notaire exerce sous le contrôle de l’Etat. Il subit des inspections et est passible de sanctions en cas de faute grave; il risque des sanctions, voire même la destitution.

Il reste que l’image du notaire est écorchée, d’abord du fait de l’existence de certaines malversations qui entraînent une crise de confiance dans la profession, ensuite parce que le citoyen trouve que les honoraires du notaire sont excessifs. Comment remédier à cette situation?

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Vous venez de soulever trois problèmes. Mal perçue, la fonction le sera toujours. C’est une profession difficile à comprendre et parce que c’est ainsi, elle demeure confuse, car le notaire n’a de justification que par le service qu’il fournit à la société.

Quel service?

Il fournit la preuve de son droit. Un droit n’a de valeur que si vous pouvez le prouver. Avec l’acte notarial, vous n’avez pas meilleur instrument de preuve et cet acte engage l’Etat de la même manière que le jugement rendu par le juge.

Et pour ce qui est des honoraires du notaire que les citoyens trouvent chers?

Tant qu’il faudra payer, ça sera toujours trop cher. C’est une activité et en tant que telle, c’est normal qu’elle coûte. C’est un service fourni. Il y a également les taxes, sachant que le notaire est aussi un agent de l’Etat. C’est un collecteur d’impôts, une recette importante. Donc ce n’est pas au notaire: cela ne fait que transiter par les caisses des notaires.

Déficit de communication, peut-être?

Justement, il faut clarifier, communiquer là-dessus pour éviter tout amalgame et autres incompréhensions, comme ce qui revient au notaire et à l’Etat.

Vous avez soulevé le problème de la confiance. Or, il y a des mécanismes, un code de déontologie, un arsenal juridique dissuasif. Le recours à ces instruments n’est pas toujours de rigueur.

Parce que tout simplement, dans certains pays, l’Etat ne fait pas son travail.

Qui en paye les frais?

Je dirais que c’est aussi préjudiciable à la profession de notaire du fait que la faute d’un seul entraîne le discrédit de tout le corps du notariat.

Comment y remédier?

Il ne faut pas de complaisance. Là où le notaire commet des fautes, il doit être sanctionné et sévèrement. Il faut sévir avec la plus grande sévérité, avec exemplarité et le faire savoir de manière à rassurer le public.

Peut-il y avoir des incompréhensions?

Très souvent, il y en a. On accuse le notaire d’un certain nombre de choses. Quand on enquête, on réalise que c’est complétement arbitraire. Il faut donc protéger le notaire, lui aussi, contre ces abus. La malveillance ou dénonciation calomnieuse doit être sanctionnée comme outrage à officier ministériel dans l’exercice de ses fonctions.

Ceci pose la problématique de la communication. C’est à croire que vous ne le faites qu’en cas de tenue de vos colloques…

Le fait est que le notaire est astreint à la confidentialité, au secret professionnel.

Le notariat en tant qu’instrument de paix, a-t-on dit?

Il est ainsi, puisque le rôle du notariat, c’est de prouver un droit et de le rendre incontestable. Là où il y a acte notarial, il n’y a pas de conflit. Le notariat est aussi un instrument de socialisation, d’intégration juridique, de rapprochement et de justice de proximité. C’est un service public.

Vous dites être un partisan qui cesse de subir mais impulse?

Là où vous avez du notariat, vous réduisez les contentieux. Les avocats sont alors fous furieux, eux qui veulent qu’il y ait le maximum de contentieux. Donc aujourd’hui, par le biais d’institutions financières internationales qui se sont emparées du politico- économique et qui font même du chantage en mettant des clauses de conditionnalité dans les facilités financières de la Banque Mondiale ou du Fonds Monétaire international, on essaye d’engager une dictature sur les Etats et de leur imposer un certain nombre de réformes structurelles.

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A quoi faites-vous allusion plus particulièrement?

Je pense en particulier à l’indice Doing Business de la Banque Mondiale, qui vous donne un certain nombre de critères simplement sur le nombre de jours et sur le coût d’une prestation et qui essaye de disqualifier les pays qui ont l’acte notarié, en avançant que c’est une surcharge inutile, un goulet d’étranglement et un ralentisseur d’activité. Ce qui est à mon sens malhonnête.

Et le facteur sécurité juridique dans tout cela?

Il est à mon avis le plus important.

Que reprochez-vous à la Banque Mondiale?

Pourquoi la Banque Mondiale agit-elle de la sorte? Elle est neutre et par conséquent, elle ne devrait pas manquer à son devoir, ni interférer dans différents systèmes juridiques.

Vous n’avez toujours pas expliqué les raisons de l’action de la Banque Mondiale.

Elle agit de la sorte parce que son principal actionnaire, ce sont les Etats-Unis d’Amérique qui ont une culture: tout ce qui est américain est bon et tout ce qui n’est pas américain n’est pas bon. C’est aussi simple que cela.

Les notaires marocains réclament le retour de la force exécutoire qui a disparu de la nouvelle loi sur le notariat…

Je n’ai pas d’opinion sur cette question, parce que je ne la connais pas. Par contre, je sais que la force exécutoire est la valeur d’un acte notarié qui est probant. Deuxièmement, s’il est probant, il n’est donc pas contestable. Il est donc nécessaire de la restituer.

Nombre de pays l’ont retirée?

Dans ces pays, on a retiré la force exécutoire sous prétexte que l’Etat ne fait pas confiance au sérieux des notaires. Moi, je dis que c’est tout simplement une démission de l’Etat. Comment ne peut-on pas avoir confiance au sérieux des notaires? S’il y a des cas, il faut les destituer.

Que pensez-vous de l’avancée du Conseil national de l’Ordre des notaires du Maroc?

C’est fulgurant. Moi personnellement, je m’inquiétais. Je voyais une léthargie du notariat marocain et c’était étonnant. Je disais: je ne comprends pas. Je voyais un pays qui est en bonne position dans tous les domaines: banques, voitures, aéronautique, Tanger Med… Comment donc un pays est aussi dynamique dans tous ces domaines, sauf dans le notariat? Il y avait une léthargie. Ils ont mis du temps à se réveiller sous l’impulsion du président du Conseil national de l’Ordre des notaires du Maroc, Ahmed Amine Touhami El Ouazzani, qui a fait un travail extraordinaire avec une équipe tout aussi dynamique. Aujourd’hui, le notariat marocain se met au niveau du Maroc sous l’impulsion de SM le Roi Mohammed VI.

Quelles perspectives pour le Maroc dans le marché africain?

Il y a véritablement un marché africain pour les industriels marocains. L’Afrique, il faut la coloniser (rires) culturellement bien entendu et le Maroc a tous les atouts pour cela. Personnellement, comme président africain à la tête de l’Union Internationale du Notariat, je vois cela avec beaucoup de sympathie.

Comment vous êtes-vous retrouvé à ce poste?

Croyez-moi, cela ne s’est pas fait tout seul. Il y a eu un grand combat. Au-delà des souhaits, les Européens et les Américains n’étaient pas disposés à céder la place à un Africain. Il a fallu user de stratégie, de dialectique, de Marketing, de jeu d’alliances et j’en passe. Enfin, c’est de la politique, mais le pari a été gagné: j’ai été élu à 62% des voix.

Interview réalisée par Mohammed Nafaa

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