Noureddine Lakhmari, cinéaste : «Ça ne m’intéresse pas de filmer les gens dans le confort»

Noureddine lakhmari

Noureddine Lakhmari, connu pour ses films «Casanegra» et «Zéro», livre au «Reporter» ses convictions et projets

Entretien

Vous êtes le cinéaste le plus en vogue en ce moment. Qu’est-ce que ça vous fait?

Si je suis le plus en vogue? Je ne sais pas. J’essaie de faire mon travail et d’être au service de ce cinéma que j’aime beaucoup. J’essaie de parler de ma société et de dire au monde entier: je n’ai pas à vous montrer les palmiers, ni les chameaux, ni les trucs folkloriques pour vous plaire. Je suis en train de vous raconter l’histoire de mon pays et de personnages que j’aime qui sont le Marocain et la Marocaine. Donc, est-ce que ça me mets en vogue? Je n’en sais rien. Moi, je pense qu’il y a de brillants metteurs en scène au Maroc; il y a beaucoup de talents. Maintenant, il faut juste les accompagner et leur donner la chance de travailler.

Peut-on savoir pourquoi cette passion que vous avez pour la rue?

C’est très simple, parce que la rue est libre. Quand on est à la maison, il y a la pression de la maman, du papa, la pression sociale. On ne peut pas «dire ça», on ne peut pas «penser comme ça», il faut faire attention… Alors que dans la rue, non. Dans la rue, on est soi-même, on est avec nos amis, on extériorise. Et surtout, il y a la marge dans la rue. Les marginalisés, ce sont eux qui jugent la société.Ce sont eux qui peuvent la juger et c’est ce qui m’intéresse. Ça ne m’intéresse pas de filmer les gens dans le confort. Les gens dans le confort, pour moi, ont moins de conflits, moins de dilemmes. Les gens marginalisés dans la rue ont tous des histoires à raconter; des histoires certes dures, mais de belles histoires à raconter. Je préfère parler de cette société marginalisée qui est tellement à l’écart. Et c’est pour ça que ça dérange. C’est pour ça que certaines critiques que je vois, que je lis, m’amusent parce que ce ne sont pas de vraies critiques cinématographiques; ce sont des critiques à l’ordre moral. Je suis désolé, je ne fais pas de tourisme, je ne suis pas un imam, je suis un cinéaste, un artiste. Donc, je parle de choses qui me touchent, qui me font mal, que j’observe.

Donc, vous aimez ce côté engagé du cinéma…

Peut-être oui, peut-être pas. J’essaie de raconter l’histoire de mes personnages qui sont très intéressants, je pense. Quand on regarde «Casanegra», les deux garçons qui n’ont absolument rien, qui rêvent, qui n’ont rien d’autre que l’espoir, leur histoire m’intéresse. «Zéro», qui souffre de son père brutal et d’une corruption de l’âme des gens autour de lui, ça m’intéresse. Quand je pense au film norvégien que j’ai fait… Les films norvégiens s’attaquent à la société norvégienne. Mais les Norvégiens ne sont jamais venus me dire qu’il n’y avait pas de morale ou «vous n’avez pas le droit d’attaquer la société». Ils voient ça d’une autre manière, cinématographique.

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Les Norvégiens n’ont donc pas la même vision de la chose?

Normalement, ça devrait être une vision universelle. Quand on a des complexes, ça sort; quand on a des complexes, on attaque l’autre.

Vous recevez des critiques virulentes par rapport au choix de vos films…

Ce qui est marrant, c’est que beaucoup de gens ont critiqué «Casanegra». Aujourd’hui, ils disent que c’est un film intéressant et important. On attaque «Zéro» mais, en même temps, on le voit. J’ai vu qu’il a été piraté. On a fait des mains et des pieds pour l’arrêter, mais j’ai vu qu’en dix jours il a été vu un million de fois. Ça veut dire beaucoup de choses. Critiquer, je veux bien. Mais quand on me dit que j’attaque la société marocaine, je ne comprends pas. Ça veut dire que je ne peux pas discuter avec des gens pour qui le cinéma est d’ordre moral et pour la famille. Je ne fais pas du Walt Disney, je ne fais pas de comédies, je fais les films que je fais. Peut-être qu’un jour je ferai autre chose et, à ce moment-là, je pourrais changer le langage. Parce que si je filme une famille conservatrice, ils vont avoir un autre dialogue, ce qui est normal. Là, comme je suis dans la rue, on ne peut pas imaginer qu’un mec dise: «Je vous présente zawja diali», «hadihi sayarati»; c’est du n’importe quoi. Il y a un travail sociologique et anthropologique sur les personnages et je pense que c’est important.

Le bilan de votre année 2014?

Ça été une année intéressante parce que j’ai fini mon scénario et je commence à préparer mon prochain film. J’ai vu des choses, j’en apprends d’autres, je me remets en question. Je me dis: qu’est-ce que j’ai fait de mauvais hier, qu’est-ce que je pourrais faire de bien demain? Et en même temps, on se pose les bonnes questions sur nous-mêmes, parce qu’on en a besoin. Donc 2014, c’était une année intéressante, pas la meilleure, mais intéressante.

En 2015, vous entamerez le tournage de Burn Out. Quelle histoire?

C’est plein d’histoires. C’est le cercle qui se referme sur «Casanegra» et «Zéro». Trois histoires un peu en parallèle qui parlent d’un Maroc moderne; qui parlent de Casa; qui parlent des gens qu’on connaît, qui sont un cireur, une étudiante ou un riche qui tourne avec sa Maserati dans toutes les rues. Ce sont des histoires très simples, humaines et surtout touchantes.

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Quels acteurs avez-vous choisis?

Je n’ai pas encore choisi. Pour trouver l’acteur, il faut du temps. Je vais commencer le mois prochain (janvier 2015) et on lancera le casting. On verra!

Mais pourquoi toujours Casablanca? Pourquoi ne pas sortir des sentiers battus?

J’aimerais bien! Je prépare un autre film sur Tanger. J’irais le filmer au bon moment. A Casa, on peut faire mille films, mais ça reste juste un espace. Les gens pensent que si je sors de Casa, je ferai «autre chose». Je peux faire «autre chose» à Casa. C’est ça ce qu’on ne comprend pas. Et Casa, c’est parce que c’est vraiment le centre du Maroc, de la rue. J’y habite, j’aime beaucoup. Si mon histoire m’amène à Marrakech, j’irai à Marrakech.

Un autre film à Safi?

En effet, j’ai déjà filmé Safi dans «Le Regard», le premier film dont personne ne parle, parce que c’est un film très «auteur», très calme. Comme ce n’est pas «Casanegra», personne n’en parle, alors que c’est le film qui a eu le plus de succès au niveau artistique. C’est dommage.

Est-ce qu’on pourrait imaginer un premier rôle féminin dans vos prochains films?

Bien sûr. Ça m’a tellement travaillé, cette affaire. Ce que je faisais, c’est que je parlais de la femme tout en filmant l’homme. Le désespoir de ces deux garçons, c’est parce qu’ils n’ont pas de vie, pas de copine. Le désespoir de «Zéro» avec son père, c’est parce que sa mère est partie. S’il y avait la femme, cela aurait équilibré beaucoup de choses. Mais la femme n’est pas là uniquement pour équilibrer la vie des autres. Elle est là pour produire de belles choses. Moi, je suis pour le 50/50 dans tout…, inclus l’héritage! Je pense qu’il est temps qu’on raconte l’histoire de nos femmes, des personnages forts. Ça viendra. Je suis fondamentalement d’accord qu’il est temps de les raconter à la Erin Brockovich ou à la «Thelma and Louise». Il faut que ça soit des caractères forts.

Pour conclure, Noureddine Lakhmari en tant qu’acteur, ça donne quoi?

J’ai joué dans un film qui va sortir, de Jérôme Oliver Cohen. Un petit rôle. Au début, je pensais que j’allais faire de la figuration, mais il m’a donné un petit texte que j’ai joué. J’ai fait de mon mieux, mais je ne pouvais pas être un acteur. Quand j’ai joué ce petit rôle, j’ai compris que c’était compliqué. C’est très difficile, c’est un travail de concentration incroyable. Je n’ai pas la patience pour ça. J’adore diriger les acteurs; j’adore être derrière la caméra; j’adore pousser mes acteurs vers la limite.

Propos recueillis par Yasmine Saih

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