Je n’irai plus au cimetière !

Samy, 30 ans, est un ingénieur informaticien d’origine marocaine, né en France, marié. Le cimetière au Maroc, il n’y remettra plus jamais les pieds. Il raconte…

«Le pays me manquait énormément et puis, je n’avais pas assisté aux obsèques de mes grands-parents. Une raison majeure pour décider avec mon épouse de nous y rendre pour une semaine.

Mes retrouvailles furent un réel enchantement, à une exception près. Il a fallu que j’emporte avec moi ce mauvais souvenir… Il s’agit de ma visite au cimetière, un endroit où je n’avais jamais de ma vie mis les pieds. Je proposais à l’une de mes tantes de nous accompagner, mon épouse et moi, pour nous indiquer la direction à prendre et nous montrer l’endroit où reposent les âmes de mes défunts grands-parents.  

Le choc fut considérable, surtout pour moi habitant à l’étranger. Je n’en revenais pas devant la vue sinistre qui s’offrait à nous. L’entrée du cimetière était désolante, délabrée, jonchée de détritus et je n’en étais qu’au commencement. Passée l’entrée, il n’y avait même pas d’allées. Des plantes sauvages à ronces hautes et sèches envahissaient tout espace de terre vide. Il nous fallait les enjamber, ne voyant même pas où allaient se poser notre pied, au risque de nous blesser avec des débris de bouteilles d’alcool. Je m’aventurais à poser des questions au gardien qui avait reconnu ma tante. Il avait galopé pour nous rejoindre et nous accompagner. Sur le chemin, je lui demandais les raisons d’un tel état et également s’il n’y avait personne pour garantir un meilleur entretien des lieux et surtout un meilleur accès aux tombes. Il évitait clairement de me répondre, mais s’empressa tout de même de me parler de sa lutte constante à tenter de faire fuir les profanateurs. Le vieil homme racontait ne pas se sentir en sécurité lui-même, ni lui ni sa famille, qu’il vivait le pire en essayant la nuit de mettre dehors des hordes de clochards, de plus en plus jeunes, violents, barbares à l’extrême et que dernièrement, il avait dû faire encore face à un incendie dévastateur. Il me montrait effectivement une bonne partie du cimetière noire, cramée. Une désolation pour de nombreuses familles touchées par le sinistre et ce n’était pas la première fois. Il me dit que la faute incombe à tous ceux qui viennent se recueillir et qui ne réagissent jamais. Je fus soulagé de remarquer que les sépulcres de mes grands-parents étaient carrelés, propres, avec leurs noms, prénoms et date de décès bien visibles. Que des plantes aromatiques avaient été placées en leur milieu pour les orner et les embaumer! Sans l’aide du gardien, nous n’aurions jamais pu les retrouver, j’en suis certain et les tombes de mes aïeux n’auraient jamais été aussi bien entretenues. Je fis part de ces dernières remarques au vieil homme et je le remerciai chaleureusement. Ma tante m’envoyait des regards furieux, elle n’aimait manifestement pas mes commentaires. Le gardien avait fait signe à des «fkihs» qui se trouvaient sur place pour qu’ils viennent réciter quelques sourates du Coran. C’est cela qui nous avait remis en condition de recueillement, on oubliait presque notre deuil, au vu des obstacles sur le chemin des tombeaux. Lorsqu’ils ont fini la récitation et les prières, j’offrais à chacun un billet de 100 DH pour les remercier. C’est à ce moment que nous fûmes assaillis par la horde de mendiants, jeunes et plus vieux, qui nous avaient proposé des bidons de 5 litres d’eau pour arroser les tombes comme le veut la coutume et qui avaient été écartés par le gardien. Je fus pris d’une rage peu commune, j’attrapai par le col un petit polisson âgé d’environ 10 ans qui s’accrochait à mon épouse la titillant d’un peu trop près. Il fit mine d’être martyrisé, puis voyant que cela ne marchait pas, les insultes et jet de pierres se sont mis à pleuvoir sur nous. Il n’y avait que le gardien et des ados mendiants pour les neutraliser moyennant récompense, bien sûr. Je mis la main à la poche et leur donnai les dernières pièces qui s’y trouvaient. Cela déplut fortement aux jeunes, ils me le firent remarquer sans gène aucune. Une fois au parking, une autre horde de mendiantes avec leurs enfants nous attendait, ainsi que le gardien. Nous ne pouvions plus rien pour eux, nos poches étaient vides. Voyant que leur obstination était vaine, les femmes se sont mises à nous maudire en disant que nous autres les «zmagris» (argot populaire signifiant «émigrés») sommes des rapiats sans foi. Elles avaient bien repéré notre voiture aux plaques étrangères. Le gardien, lui, sûrement habitué à ce genre de situation, leva son bâton et s’en alla ailleurs, vers d’autres voitures qui se plaçaient. J’en avais plus que par-dessus la tête, au point que je m’entendis jurer ne plus jamais de ma vie remettre les pieds dans cet endroit. Pour ajouter à mon ire, ma tante, elle aussi, allait mettre son grain de sel. Je recevais de belles remontrances parce que, selon elle, j’avais joué au touriste en distribuant les gros billets et que, dorénavant, ses visites au cimetière allaient lui coûter cher. Je saisis alors le sens de ses œillades meurtrières quand on était devant les fkihs qui avaient récité les prières. Je n’en revenais pas, ce genre de détail ne m’aurait jamais effleuré l’esprit.

Elle m’a roulé!

L’expérience du cimetière atteignait son paroxysme d’incongruité lorsque, par la suite, racontant ce qui nous était arrivé, elle avait tout mis sur le dos de mon épouse, affirmant qu’elle avait déclenché la bagarre sans souci du respect des morts. Heureusement qu’elle ne vit pas avec nous, cette mégère, je l’aurai sûrement étranglée un jour, même si c’est ma tante!

Maintenant, il y a une chose qui ne fait pas de doute dans mon esprit: au pays, si les gens ne vont plus se recueillir sur les tombes de leurs défunts, ce n’est pas par peur de la mort, mais de tout ce que j’y ai vu et vécu. Pour moi, c’est une certitude. S’il faut y aller à chaque fois avec les poches pleines, avec du matériel de jardinier pour se frayer un chemin et maîtriser un sport de combat pour se défendre quand on est agressé, il est évident que ce n’est plus du recueillement, c’est un supplice».

Karim Charkaoui, ingénieur aux îles Fidji

Mariem Bennani

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